du 30/04 au 14/06/2008
Si au cours de plusieurs décennies le comportement artistique de John Quivron évoque celui d’un magicien, d’un chamane même, cela n’a rien d’une pose ni d’un déguisement chers aux artistes à succès actuels.
Sa fréquentation avec le monde des signes et des rêves, avec un langage secret où intervient toute la nature avec sa croissance et ses secrets est un phénomène qui lui est inné et qui ouvre des grottes aussi bien que des horizons aux richesses inépuisables.
Il imagine, il invente, il construit des rêves qu’il rend d’emblée tangibles, visibles, abordables et bien entendu étranges.
Il y a bien longtemps, il a créé des navires qui volent, des avions comme des bateaux et qui partaient en toute sérénité, car le temps était pour eux une notion trop humaine et trop bornée pour les ébranler ou les limiter. Certains de ces bateaux sont arrivés à destination, sur les plages de la lune où le sable est plus que fin, et blanc d’une blancheur invraisemblable, mais tenace et dangereux de telle manière que peu d’entre eux sont revenus pour nous raconter leurs aventures.
Ceux qui sont restés se sont laissé envahir lentement par ce sable comme par une caresse mortelle. Les navires de John Quivron peuvent se situer au début de ses pérégrinations, mais ils contiennent déjà toute la spiritualité et l’inventivité unique de ce personnage envahissant, inébranlable, joyeux et goguenard.
Les bateaux étaient frêles et en même temps élégants, mais d’une élégance inattendue et aussi un peu irréelle aux yeux d’un spectateur réaliste. Leur corps éthéré se composait de tiges, de lattes, de papier et de cordes; ses parois étaient légères comme le sont les matériaux oubliés et abandonnés.
Le bateau lunaire n’est certes pas l’unique objet qui incarne la fantaisie et la poésie tangible de John Quivron, mais elle est à mon avis emblématique de ce qui a suivi. C’est la raison pour laquelle j’aime m’y attarder tout comme lui s’attarde à ce qui lui plaît. Ainsi je le vois encore assis dans une de ses pirogues frêles et aérodynamiques. Je ne saurais bien expliquer pourquoi, mais cette image du John Quivron ayant pris place dans un de ses objets dans la cour de sa maison, qui est en même temps une galerie où exposent ses amis et les inventeurs de formes et d’objets qu’il estime, est resté gravée dans ma mémoire. Elle résume son art de vivre et sa manière subtile de créer une tension ou une forme d’aliénation au moyen de matériaux qui en fait sont à la disposition de tout le monde.
L’esprit d’arte povera n’est pas loin, mais John Quivron se distingue des pratiquants du rituel des objets trouvés par son inventivité, sa fantaisie toujours étonnante dans un monde où tout semble déjà avoir été tenté ou découvert. Je ne veux pas dire par là que les adeptes de l’arte povera manquent de fantaisie, loin de là, mais ils se contentent parfois trop du phénomène de la réappropriation et bien moins d’une soif de réincarnation, d’une nouvelle création qui absorberait pleinement l’objet en question ou le fragment.
John Quivron crée à partir de ce qui lui tombe sous la main ou cueille, ramasse, cherche, acquiert un objet à cause de son rayonnement d’un côté mais aussi et surtout en fonction de ce qu’il a l’intention d’en faire. De toute manière sa créativité ne se borne pas à transformer un objet existant, il s’en sert au moment de développer une idée. Ainsi il utilise des lettres ou des documents imprimés pour construire une sorte de paysage accidenté et montagneux tridimensionnel qui deviendra une montagne de lettres, tout comme il manipule des tiges ou des lanières de bois pour inventer un alphabet nouveau dont il se servira d’emblée pour réécrire un poème qui deviendra à son tour une sculpture murale éthérée et large en même temps. Un poème devenu sculpture murale et rédigé en un alphabet inexistant et ludique, il faut le faire.
Il y a un autre domaine, important et actuel, où il excelle et se profile depuis quelques années; celui de la création d’un monde parallèle en quelque sorte, d’un univers à lui et qui est de nature à tromper ou éblouir celui qui l’aborde un peu distraitement. Cet univers de témoins étranges d’une fouille envoûtée, provenant de fossiles miraculeusement conservés, de petits squelettes d’animaux inexistants, de feuilles de plantes exotiques, de pousses pétrifiées au cours de leur épanouissement révèle le véritable John Quivron.
De trois fragments il fait un animal nouveau, un être fabuleux, un fantôme de contes bleus, un passager clandestin d’un de ses bateaux lunaires revenu sur terre. Il imagine la découverte d’un manuscrit, écrit sur une feuille comme une trompe d’éléphant, il fabrique des parchemins qui décrivent comment naissent les coléoptères géants, comment se reproduisent des êtres qui ne sont que tenailles et ventre osseux, comment les fantômes se recueillent dans un antre d’ossements.
Plus on décrit l’art de John Quivron, plus on a l’impression qu’il est vaste et ineffable, magique et unique, sans fards car authentique.
Hugo Brutin (a.i.c.a.)
Photos du vernissage