du 25/04 au 02/06/07
« Paysage-temps »
IN/OUT
Le temps pictural, cet inconnu sur les peintures de Nathalie Garot
Ce sont les nuages qui ont inventé la peinture. C’est la peinture qui a inventé les nuages.
J.-B. Pontalis, « En marge des jours »
Le parcours de Nathalie Garot (°1977), qui vit et travaille aujourd’hui à Bruxelles, mais qui a gardé des liens avec la région namuroise, et plus précisément avec Lustin où elle a vécu, est assez inhabituel. Elle a d’abord effectué le cursus complet d’une licence en biologie à l’UCL, puis a opté ensuite pour la section Dessin de La Cambre (ENSAV). En 2006 elle participait à la 10e Triennale des artistes de la Province de Namur. Mais n’y présentait pas de dessins : elle exposait des peintures… Autant dire que les catégories trop restrictives ne conviennent guère à cette jeune artiste qui, par ailleurs, garde une attirance personnelle pour le questionnement philosophique opéré par certains grands écrivains du XXe siècle comme Maurice Blanchot ou Emmanuel Levinas.
Pour entrer dans l’univers pictural de Nathalie Garot, le spectateur est d’abord invité à s’abstraire du tumulte du monde ambiant autant que du temps strictement « de passage ». Il lui est conseillé de se mettre « à distance » du monde extérieur, pour appréhender une œuvre qui se déploie dans le temps travaillé de la perception et le temps travaillé de sa réalisation.
Dans certaines peintures de l’artiste, en effet, les bandes adhésives dessinent sur le support de la toile une sorte de grille visuelle qui elle-même ouvre – plutôt qu’elle ne ferme – sur un espace visuel bien plus large. De sorte que dans cette conjonction du temps et de l’espace qu’offre le regard, le spectateur peut se trouver à un moment donné, peut-être éphémère mais bien réel, en synchronie étroite avec celle qui l’a réalisée. « C’est une minute de liberté comme il y en a peu », écrit Nathalie Garot. Ce temps partagé, jusque dans l’inaccessibilité de certaines de ses marges, apporte à la peinture ses instants de perfection comme d’imperfection. La temporalité ne pourra être ici considérée comme la synthèse accomplie d’une construction picturale, mais bien davantage comme une séquence temporelle progressive : une invitation à porter le regard sur un paysage construit/déconstruit/reconstruit par l’artiste. Autrement dit, une contemplation de l’oeuvre. Temps et silence.
Du point de vue de l’artiste, la progression dans la réalisation a ses impératifs. Pour mettre en exergue la profondeur de l’œuvre peinte, il s’agit de mener un travail d’investigation, d’ouvrir à l’infini un espace encore clos, d’abandonner la surface blanche de la toile , de se mettre « à distance » d’elle, pour y inscrire un mouvement actif, qui impose connaissance, croissance, modifications, reconnaissance et, au terme du travail, compréhension. Champ d’expérimentation toujours exemplaire, où les étapes successives de la réalisation – collage et décollage, peint et repeint des bandes adhésives, par exemple – imposent à leur tour un temps travaillé. Aussi le champ de vision proposé par l’artiste n’a-t-il rien d’un bombardement d’images, comme on parle de bombes à fragmentation. Nathalie Garot, dans la fragmentation du champ ainsi défini, propose au contraire une mise en lumière du cheminement nécessaire à son élaboration, cheminement qui exigera du spectateur ce temps sensoriel de contemplation, d’analyse, et de compréhension. Une vision du monde qui est aussi la révélation d’une vision de soi.
Ainsi la peinture de Nathalie Garot parvient-elle à exiger à la fois une concentration de l’esprit et un total abandon dans la contemplation. Le temps de la création rejoint le temps de la jouissance, et même l’incertitude du geste répété s’impose comme une figure de cette fluidité infinie, mais imprécise, du temps. Le temps se dépose en surface comme en profondeur, s’insère dans les interstices préparés et redécoupés de la toile. Envahi par les couleurs d’une lente lumière, le geste de l’artiste réconcilie, le temps d’un espace pictural, l’indétermination et la rationalité, ces sources de connaissance, d’émotion, et d’étonnement, qui font du meilleur de chaque œuvre une expérience psychosensorielle globale.
En peinture comme ailleurs, tout est affaire de langage, et ce grand silencieux qu’est Bram Van Velde l’avait suggéré : « Pour être capable d’accueillir l’inconnu, il faut être sans langage… » Si l’on pouvait s’astreindre au silence, ce ne serait déjà pas si mal. D’autant que le silence va de pair avec la temporalité.
J’ai parlé ici du point de vue du spectateur, bien que, dans le domaine pictural en particulier, ce terme me soit toujours apparu comme inapproprié, qui renvoie à une « société du spectacle » annoncée par Debord et désormais omniprésente, en art comme ailleurs. (Mais visiteur relève autant du tourisme, regardeur, « qui aime à observer », attesté en 1278, est vieilli, et voyeur, trop précisément connoté.) Aussi, dans l’insupportable cacophonie des tendances diverses et modes éphémères qui traversent la peinture tout autant que l’ensemble des arts plastiques d’aujourd’hui, on ne peut que se réjouir lorsque s’impose à nous une peinture silencieuse, comme celle de Nathalie Garot.
Alain DELAUNOIS
critique A.I.C.A
mars 2007